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                                                     Sous le pont de St Jean…

 

 

 

Sous le pont de Saint-Jean, il y a cet homme bizarre qui me braque avec son revolver. Quand je dis bizarre, c’est qu'il a une gueule de merde. Un genre de ganache laissant présager un handicap mental. Un visage bouffi et crasseux, avec des cheveux poivre et sel tout bouclés qui retombent en guirlande sur son front fuyant.

 

La démence l’habite, la luisance visqueuse qui écorche la surface de ses yeux en témoigne.

Il m’avait klaxonné quelques minutes plus tôt tandis que je marchais le long du boulevard Maréchal Joffre, en vue de me rentrer chez-moi. Il était quoi ? Trois, quatre heures du matin.

Je crois d’abord à un collègue, une connaissance qui passe par là et m’a reconnu, mais lorsque je m’approche de la « Quatre Ailes » dézinguée, je vois cette tronche de taré, inconnue au bataillon. Je lui demande ce qu’il veut, à travers le carreau de la portière scellée, mais il ne répond pas, il se contente de me fixer sans sourciller.

 

Mon sang s’est glacé lorsque j’ai repris la marche en direction du pont et que lui me suivait dans sa voiture, en roulant au pas.

J’ai harponné mon regard au pont, l’envisageant comme l’unique porte de sortie, mon asile politique, mon salut. J’ai marché sur les quelques mètres qui me séparaient de lui, comme on traverse un désert sans eau, la peur au ventre. Arrivé à son niveau, je me suis risqué à regarder en direction du fou frisé, et c’est là que je l’ai vu, le flingue, reflétant les lumières fades d’un réverbère somnolant. L’homme à la tête de mongole le tient à bout de bras, la bouche de son canon béant pointée dans ma direction, sa bouche à lui fendue d’un sourire de dément. 

Le dernier rayon lumineux éclairant l’arme me décida. Je me mis à courir comme un dératé, en zigzag, craignant la balle qui me perforerait un poumon ou me rendrait tétraplégique ou qui sait, pire, me crèverait le cervelet. J’ai cavalé à en perdre haleine sous le pont de St Jean, abritant sous sa coupe, non loin de là, le restaurant des « trois platanes » dont le panneau de fin d’interdiction de stationner, situé à son entrée, est serti de trois impacts de balle. Trois, comme trois Platanes, comme pour signifier : ici un lieu « familial », mais qui s’y frotte s’y pique, "comprendes" ?

Un pont lugubre, traversé par tant de vies, in-extremis.

Un pont où s’séjourne Souleymane « Pipi » ou notre prince arabe, cerné d’une armada de sacs en plastique mouchetés de fiente de pigeon, témoin muet d’une vie passée au travers. Vase clos de sa propre misère. Souleymane, dont le photographe « Lee Jeffries » aurait fait un portrait dès plus somptueux.

Un pont où les rats, les chats, les chiens ne vont plus.

Un truc qui fout l’cafard.

J’ai couru, comme on court pour ne pas rater le train du reste de sa vie, comme un damné, un échappé du bagne. J’ai couru, plus vite qu’Usain Bolt, attendant la puissante détonation qui se répercuterait en palabres doucereuses et infinies contre les murs de la ville.

Son geste, à l’autre figure d’anchois, je ne l’explique pas.

 

Toujours est-il que sous le pont de St Jean du Var, on n’y danse pas.

Ou du moins plus… depuis belle lurette.

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