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                                           Expression

 

 

  • -  Bon, on le fait ?

  • -  Pas besoin de déshabiller Pierre pour habiller Paul !

  • -  Qu’est-ce que tu dis ??

  • -  Quoi, tu connais pas l’expression.

Jacky secoua la tête, énervé, tout en continuant d’effriter la résine de cannabis dans la paume de sa main.

  • -  T’es vraiment un payot ! Acheva Lou, narquois.

Quelques secondes espacèrent la réponse de Jacky qui, concentré à mélanger la poussière résineuse aux copeaux de tabac, tirait la langue de côté. Arrivant au terme de son geste, il lâcha :

  • -  Me rends pas fou avec tes trucs… Et puisque je suis un payot, le tarpé, je vais le fumer tout seul, toi, t’as qu'à aller ramasser les mégots par terre !

Vexée, Lou ramena ses cheveux drus en un chignon approximatif. Elle réfléchit un moment puis balance à son tour :

  • -  J’te signale que c’est mon shit.

  • -  Ouais mais qui roule « Bamboule » ! Rétorqua Jacky d’un air satisfait.

  • -  Ça veut dire quoi cette connerie ??

  • -  Ben quoi, tu connais pas l’expression ? Appuya Jacky sur sa lancée, un sourire édenté étalé sur sa figure moribonde. Il lécha le collant du papier à rouler avec éloquence.

Lou abdiqua, déconcertée :

  • -  Bon vas-y ferme ta gueule…

 

Une rafale de vent secoua les branches des arbres aux feuilles brulées par le soleil, comme un signal mystique d’un quelconque dieu, le parc sembla peu à peu s’animer. Assise sur un banc, Lou étira ses jambes tandis que Jacky se mit à gratter les poils de sa barbe naissante avec frénésie.

  • -  Bon, on est d’accord… On le fait ?

  • -  Je te ferais remarquer que j’suis une fille, je suis pas censée faire ce genre de chose ! Fit Lou, de plus en plus nerveuse.

Jacky se mit à rire avec démence et enchaîna :

  • -  Tu parles d’une fille, t’es aussi grossière qu’un mec, tu te fringues comme un mec, tu te défonces pire qu’un mec… Tu craches même des glaviots !! Là que j’te demande de faire preuve d’un peu de couilles tu balises, c’est trop facile… Tiens et pis passe-moi du feu !

Lou lui tendit un briquet. Elle tenta de rassembler sa féminité éparse diluée en elle et de la greffer au timbre de sa voix pour demander, fébrile :

  • -  Mais tu vas me faire fumer quand-même ??

Jacky aspira une longue bouffée qu’il retint prisonnière de ses poumons s’accordant ainsi un peu de répit avant de recracher sa réponse :

  • -  Ça, ça dépend que de toi ! Fit-il à bout de souffle.

Lou, sentit poindre la crise au fond de ses entrailles. Elle essaya un ultime argument :

  •  -  Disons que je préférerais faire la manche, pour le même résultat !

  •  -  Non mais tu te fous de moi ? La manche rapporte que dalle et tu le sais, y’a que des crevards dans cette putain de ville ! Au mieux à la fin de la journée on aura tout juste de quoi se payer une dose pour deux ! C’est ça que tu veux ? Une dose pour deux ??

Au bord de l’implosion, Lou tenta de lui arracher le joint de la bouche. Jacky esquiva au dernier moment et lui retourna une baffe en représailles, ce qui l’a fit basculer du banc et atterrir le cul par terre, entre les mégots.

Elle se redressa, confuse puis reprit place à côté de lui. Les larmes aux yeux, elle se confondit en excuses :

  • -  Je sais pas ce qui m’a pris Jacky, vraiment je crois que je suis en train de perdre les pédales… Faut que je fume sur le bédo pour me remettre les idées en place, s’il te plait Jacky, laisse-moi tirer dessus !

Il hésita un instant puis finit par le lui tendre, avec pitié.

  • Ecoute, lui dit-il, j’en ai marre, j’en peux plus de fumer cette merde, tu comprends ? Je veux noircir l’dos d’la cuillère moi, faire suinter l’aiguille, pouvoir me payer une vraie défonce… Une putain de vraie défonce !

Lou s’époumona sur le joint comme la misère sur le pauvre monde, en hyper ventilation. Jacky enchaina :

  • -  Ça fait combien de temps qu’on s’est pas shooté, 48 heures ? 72 heures ? Hein, tu peux me le dire ??

Le chignon à la renverse, Lou recracha un gigantesque nuage de fumée de ses lèvres craquelées, avant d’ajouter entre deux quintes de toux :

  •  -  Ok, je suis d’accord, on le fait !

  •  -  Quoi ? T’es sérieuse ?

Elle sortit de la poche de son jogging crasseux un cutter dont elle fit remonter la lame d’un cliquetis nerveux puis lâcha un :

  • -  …Très sérieuse.

  • -  Très bien, fit Jacky…Alors, lequel tu veux ??

  • -  Le vieux pignouf qui se ramène vers nous, celui qui promène un caniche !

Jacky approuva :

  • -  T’as raison, il a l’air blindé !

Lorsque le type passa à leur niveau, Jacky lui lança :

  • -  Excusez-moi monsieur, vous ne vous appelleriez pas Pierre par hasard ??

L’homme répondit, éberlué :

  • -  Ben oui, comment avez-vous deviné ?? 

 

Une nouvelle rafale de vent suspendit l’instant, cruel et salvateur. Au sol, un corps gît, au côté d’une flaque de sang et d’un cul de joint malmené. Dans une ruelle adjacente, un caniche hors d’haleine cavale entre des passants mornes qui n’ont l’air de rien, une laisse traînante reliée à son cou, prête à prendre son envol.

 

 

Ailleurs, Paul lui, nu comme un verre, ne tarda pas à se fringuer. 

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